jeudi 31 mai 2012

мы пойдем в Ретер !

Nous partons demain pour Petersbourg, à 12h33. Demain! Il y a encore du linge sur le sèche-linge, des conserves dans l'armoire, quelques passages sur notre carte de métro et la photo de Tolstoï sur le mur (elle va y rester d'ailleurs), mais c'est vrai, on part demain.
Encore hier. avant-hier, on découvrait de nouvelles rues, de nouveaux cafés, des cinémas indépendants, de nouvelles manières d'apprêter l'aneth et les joies de la danse sur le quai au Parc Gorki, mais c'est vrai, on part demain, on va se faire voir dans le Nord au soleil perpétuel du solstice d'été, et je pense qu'on va bien se marrer... En attendant je veux voir Moscou une dernière fois...

Allez voir les photos, j'en ai ajouté 50 000.

Любовь!

Élise

jeudi 3 mai 2012

Autour de Vladimir Vladimirovitch Maïakovski


« Ils ne comprennent rien »

Je suis entré chez le coiffeur, j’ai dit – tranquille :
« Pourriez-vous, s’il vous plaît, me coiffer les oreilles ? ».
Le placide coiffeur devint tout de suite piquant
Son visage s’allongea, comme chez les poires :
« Espèce de fou !
Espèce de roux ! » —
Les mots rebondissaient.
L’injure s’agitait d’un piaulement l’autre,
Et lo-o-o-ngtemps
L’une des têtes a rit
S’extrayant de la foule, comme un vieux radis.

(V. V. Maïakovski, selon ma traduction (très) approximative)






Demain nous allons, avec Elena, notre professeure de russe, visiter le Musée Maïakovski, place Loubianka. Vladimir Vladimirovitch Maïakovski, c’est « le poète de la Révolution ». C’est un grand gars viril, relativement baraqué et très beau, qui s’est affilié au parti des bolcheviks dès l’âge de 15 ans, qui avait une vingtaine d’année à la Révolution en 1917 et qui était déjà poète. Il a participé au développement du mouvement futuriste en poésie, il a travaillé avec confiance et ardeur auprès du Parti, il a voyagé en Europe pour réciter sa poésie, propager les idées marxistes. Il a été intensément amoureux d’une femme, Lili Brik, la sœur d’Elsa Triolet, pour ceux à qui ça dit quelque chose. Plus tard, il a souffert, du manque d’amour et de l’éclatement de son rêve révolutionnaire en petits morceaux pourris. Il s’est tiré une balle dans le cœur au mois d’avril 1930, au printemps. Il a laissé la note : « La barque de l’amour s’est fracassée contre la vie courante. »

Quelle histoire, hein ? Quelle vie ! L’une des nombreuses choses fascinantes en Russie, c’est toutes ces histoires incroyables, toutes ces vies inimaginables dans notre coin du monde. Ces temps-ci on parle beaucoup de celle d’Édouard Limonov. Moi, ma (de loin) préférée, elle est toute différente, elle ressemble un peu plus à celle de Maïakovski : c’est celle de la poétesse Marina Tsvétaïéva. Probablement la personne la plus intense qui ait jamais existé (mettez Frida Khalo, Jacques Brel, Nietzsche, Alexandre Jodorowsky et Janis Joplin dans un bol, secouez… Tadam ! Marina Tsévaïéva !)









Marina, enfant, était à peu près (selon ce qu’elle raconte dans ses mémoires qui sont toute la source de mon admiration) comme la Bérénice Einberg de L’Avalée des avalés, le roman de Ducharme. Mais en poète lyrique. Son amour d’enfance, c’est l’Aiglon, le fils de Napoléon Bonaparte, mort depuis plusieurs décennies déjà à l’époque où elle se met à lui vouer un culte. Elle écrit, à l’âge de 13 ou 14 ans elle connaît déjà quatre langues, à 19 ans elle se marie avec un garçon de son âge avec qui elle restera toute sa vie, tout en entretenant des relations passionnées (souvent plus littéraires qu’autre chose, mais quand même) avec des dizaines d’hommes et de femmes, dont Ossip Mandelstam et Arcadi Tarkovski. Après la Révolution, son mari part quelques années faire la contre-révolution dans l’armée blanche, la laissant seule à Moscou avec leurs deux filles. C’est la famine, elle est seule, elle s’occupe de ses enfants, elle manque d’eau, de pommes de terre, de lumière, et elle continue d’écrire. L’une de ses filles meurt de faim durant cette famine. Elle s’exile à Prague, puis à Paris, ses poèmes ne sont presque pas publiés, elle est pauvre, elle entretient une correspondance « amoureuse » à trois avec Boris Pasternak et Rainer Maria Rilke. Elle a un troisième enfant, un garçon. Son mari et sa fille aînée, convaincus par les idéaux communistes, rentrent en Union Soviétique. Ils commencent à travailler pour le KGB. Marina revient auprès d’eux avec son fils. Pour des raisons obscures, arbitraires, absurdes, son mari est accusé d’espionnage, emprisonné, sa fille envoyée dans un camp de travail. Elle continue, dans le tumulte des patates à peler et ensuite, après l’arrestation des membres de sa famille, dans l’angoisse pure, à écrire et à traduire de la poésie. Son mari est condamné à mort et elle, déportée en Tatarie. Comme Maïakovski, elle souffre du manque d’amour et de l’éclatement de son rêve en petits morceaux pourris, et comme Maïakovski, elle se suicide. « Je ne suis pas une joueuse. Ma mise – c’est mon âme ! »

Bon, c’est sombre, c’est même très sombre, mais ce que je voulais dire, avec tout ça, c’est que, chez les Russes, des vies comme celles-là, hors du commun, marquées par un idéalisme forcené et un destin impitoyable, il y en a beaucoup, tellement que j’en viens à me dire qu’il y avait peut-être quelque chose de sensé dans ma réaction primaire (dans tous les sens du terme) à la proposition de Julien d’aller nous faire voir en Russie : « En Russie ? Mais les Russes sont fous ! »

Ce qui est vrai, en tout cas, c’est que, s’ils ne sont pas fous, les Russes (que j’ai vus) sont de loin (en tant que nation) les gens les plus rebelles que j’ai connus. La preuve, scandaleuse : ils dépassent ouvertement dans les files. Oui, vous avez bien lus : ILS DÉPASSENT les gens. Sans faire semblant de ne pas le faire. Ils vous disent parfois quelque chose comme : « Excusez-moi… Je peux ? », et nous, éberlués (non mais quels écoliers bien élevés nous faisons !), on les laisse passer (qu’est-ce qu’on peut faire ? Se battre ?). Ils ne viennent pas aux cours, ou alors ils arrivent 10 minutes avant la fin de la séance et disent, le sourire aux lèves : « Excusez-moi, je suis en retard. » Ils ne payent pas le métro, mais sautent par-dessus les tourniquets (symphonie de sifflets). Ils ne payent pas le train, et se cachent en riant dans les compartiments à bagages, entre les wagons, quand le contrôleur passe, puis, à l’arrêt, courent comme des perdus jusqu’au wagon précédent pour le semer (le contrôleur), et se rasseoir. Pas un ou deux petits voyous à calottes, non, non, des jeunes, des vieux, des mères de famille bien habillées, coiffées, repassées… Ils portent des blousons de cuir, des jeans et des souliers italiens pointus. Ils conduisent sur l’accotement pour dépasser, ils fument dans les restaurants et ils construisent, encore aujourd’hui, des cathédrales.
L’anarchisme ? Une idée de Russes. L’abstraction en peinture, aussi. Et la conquête de l’espace…
Tous leurs héros : tous des rebelles. Par exemple : Pouchkine. Qu’est-ce qu’il a fait, Pouchkine ? Il s’est battu illégalement en duel pour rencontrer le destin d’un de ses propres personnages. Il en est d’ailleurs mort (encore un !). Tolstoï ? Artiste aristocrate semi-décadent qui décide de se faire paysan, professeur à la petite école de son village, de prôner l’abstinence et le végétarisme. Lénine ? La dictature du prolétariat…

Tout cela m’impressionne beaucoup. Pas faciles à aimer, comme ça, tout de suite, pas faciles à comprendre (d’abord, ils ont tendance à parler russe), mais tout de suite fascinants. On dirait que, pour le meilleur et pour le pire, il y a des choses qui sont possibles en Russie, qui sont possibles, faisables, dans la tête des Russes, et qui ne le seront (peut-être) jamais pour nous.



Est-ce que je dis n’importe quoi, là ? Ça se peut bien ! Il ne faut pas me croire sur parole… Comme disait Maïakovski en parlant peut-être des phraseurs emphatiques dans mon genre : « Ils ne comprennent rien !»