mardi 15 octobre 2013

Trouver un logis, gagner son pain noir, ses cornichons et son saucisson

Aujourd'hui, 15 octobre 2013, les nuages recouvrent Moscou après un intermède ensoleillé de 3 jours (une vraie bénédiction). C'est donc parée en vitamine D (mais enrhumée tout de même) que je vous écris mon deuxième petit mot.
Nous nous étions laissés, la semaine dernière, sur notre installation aux résidences universitaires, où nous avons finalement reçu une chambre (une autre bénédiction). Avant cet heureux événement, nous avions eu le temps de visiter quelques "vrais" appartements, et de faire quelques téléphones en russe, ce qui peut facilement remplacer le jogging, je crois, pour ce qui est du travail sur le changement de rythme cardiaque.
D'abord, disons tout de suite que, pour une chambre en ville, partagée avec plusieurs colocataires, il fallait compter entre 17 000 et 30 000 roubles (il y avait beaucoup plus cher aussi, mais disons qu'on a pas pris la peine de regarder) par mois. Ça fait assez cher. D'autant plus qu'on a découvert qu'il était un peu difficile d'avoir accès à des appartements dont la location n'est pas gérée par des agents. Les agents se prennent généralement un mois de loyer, juste pour nous faire visiter, ce qui gonfle encore la facture. Et il y a aussi un dépôt exigé, et ci, et ça... Bref, ce n'était pas de la petite bière. On aurait bien voulu vivre sur la "Chaussée des Enthousiastes", mais malheureusement l'appartement était déjà loué.
On a donc fait affaire, plus ou moins par hasard (on ne comprend jamais tout à fait bien ce que les gens nous disent au téléphone, pour le moment), avec un agent qui nous amène dans un appartement où il n'a jamais mis les pieds. La chambre, en plein centre, coûte 30 000 roubles par mois (plus ou moins 1000 $) et elle ressemble finalement à l'appartement des personnages de "Trainspotting", avec des colocs moins sympathiques (on entre dans une cuisine en forme de couloir où sont entassés à peu près 8 personnes, qui nous regardent la tête penchée sur le côté en tirant sur leur cigarette, dans la faible lumière qui entre par la petite fenêtre sale à l'autre bout de la pièce, l'air de se demander ce qu'ils pourraient bien faire avec un passeport canadien).
Deuxième visite: une babouchka nous fait entrer dans un appartement en rénovation, où il n'y a pas encore de cuisine et où la chambre à louer est dotée d'un immense tapis et de deux vieux divans. Le propriétaire essaie de nous la vendre: "Authentique style soviétique ! En plein foyer culturel de la Russie !" Et il répète: "Véritable style soviétique, que vous ne trouverez jamais ailleurs !".
Et c'est là que, devant le propriétaire, les anciens locataires, l'agent et la grand-mère qui est restée dans le cadre de la porte, Julien, voulant blaguer, sort LA PHRASE qu'il fallait ABSOLUMENT éviter. Je ne peux pas encore croire qu'il ait dit ça. On en a ri toute la journée par la suite avec Nika, mais sur le coup j'ai vraiment souhaité me fondre dans les motifs du vieux papier peint jauni par l'humidité.

Il dit: "А где Сталин ?" ("Et où est Staline ?")
...

Silence.

Jusqu'à ce que Jul se rende compte de son erreur et se reprenne: "AH! PARDON! Je voulais dire "Où est le portrait de Lénine?"...."
Pas de réaction.
On passe à un autre sujet et, bien sûr, on ne prend pas la chambre.

Bref, après ça et les coups de téléphone où on se rend compte que les prix affichés sur les annonces sont rarement les bons, que les commissions sont presque obligatoires et que les Russes n'aiment pas répéter les informations, on est vraiment contents de recevoir l'appel d'Ekaterina, la directrice du Centre Moscou-Québec, qui nous offre notre fameuse chambre sur le campus, à 5500 roubles.

Sinon, qu'avons-nous fait ? Nous sommes allés souper chez Elena, notre ancienne prof de russe, qui nous avait préparé des salades aux betteraves, aux tomates, aux cornichons, et du poulet aux légumes.


On a parlé de divers sujets, dont de ses 3 emplois différents (le salaire de professeur de langue à l'Université est de 6000 $ par an) et des types de miel différents qui sont produits en Russie (on a eu droit à une dégustation qui comptait environ 8 miels de toutes sortes...). J'en profite pour vous faire visiter son appartement, très joli et exigu, qui se trouve dans le centre. La mère d'Elena en a hérité à l'époque soviétique (la majorité des gens qui peuvent vivre au centre-ville sont soit riches, soit héritiers d'un vieil appartement soviétique). Voici donc quelques photos:

de la cuisine,
 du couloir,

 et du salon.


Sinon, on est aussi allé au club Gogol, voir le fameux show de Messer Chups. Il y avait environ... 50 spectateurs (?), dont la moitié semblaient être de véritables fans. Dans le style "surf-'n-roll & horreur" (c'est eux qui se décrivent comme ça!), c'est vraiment excellent ! Curieux à quel point les publics russe et occidental sont différents. Ce groupe russe, assez populaire pour se faire connaître jusqu'au Québec par des amateurs de musique tels que mon propre frère, est, on dirait, presque inconnu à Moscou!


On a aussi vu Sergueï pour la première fois depuis notre arrivée, puisqu'il est revenu de Croatie. Véritable sentiment de déjà vu: il nous invite à passer la soirée chez lui, il nous cuisine un plat plus ou moins immangeable, on boit du thé et on se couche à 4h du matin. Il est d'autant plus drôle qu'on comprend de mieux en mieux ses blagues, qui sont vraiment excellentes ! Ses amis Egor et Anastasia étaient là aussi, très surpris de nous revoir encore dans la même cuisine après un an et demi. Ils nous ont fait une liste des "films cultes" de la Russie qu'il fallait absolument voir, et sont entrés dans un débat enflammé sur ce sujet, tellement enflammé d'ailleurs qu'on a rien compris...
En attendant, on a regardé "Ckazka Ckazok" ("Le conte des contes"), un des films d'animation les plus réussis de Youri Norstein. Très mystérieux, très mélancolique et très beau. Je vous suggère fortement de le regarder.

Voici le lien pour le trouver sur Youtube:

http://www.youtube.com/watch?v=4aeuyJ-wrIY

Si vous préférez plus d'humour, vous pouvez aussi regarder "Film ! Film ! Film!", qui est vraiment plus gai. Pour vous permettre de comprendre l'histoire, il est suffisant de savoir que le premier personnage grand et maigre qu'on voit est le scénariste, et que le petit bonhomme court sur pattes qui apparaît juste après est le réalisateur. Très drôle, vous allez voir !

http://www.youtube.com/watch?v=EdwSmmXU6JM

En plus, les deux films sont muets, alors profitez-en!

Sinon, on a tous les deux reçus des contrats d'enseignement individuel chez "Native Speakers", ce qui va nous permettre de payer notre beurre, et même quelques ballets !

Autre expérience particulière: nous avons été engagés pour enregistrer les voix d'un homme et d'une femme francophones, pour l'examen de compréhension orale des étudiants russes qui apprennent le français au secondaire. C'était très drôle et très semblable à la scène des "Aiguilles et l'opium" où Robert doit enregistrer la narration d'un film sur Juliette Gréco... Nous aussi, il a fallu qu'on prononce "jazz", "twitter" et même "followers" (!) à la française. Ah ! La minorité linguistique dans sa propre langue !
La passe la plus difficile dans mon texte était de loin l'intertitre :"Pourquoi twitte-t-on ?", que j'ai prononcé successivement comme "Pourquoi touite-ton", "Pourquoi toui-te-ton", "Pourquoi twittetoton" et finalement "Pourquoi tvi-te-ton" !
On s'en est bien tirés, finalement, et peut-être même qu'ils vont nous réengager, alors j'imagine que c'est bientôt la gloire qui nous attend.

L'inspiration me manque pour approfondir aujourd'hui sur ce grand mystère qu'est la Russie... Je vous laisse donc à vos occupations !

À bientôt sur cet écran !

Élise

samedi 5 octobre 2013

Première semaine

Bonjour à tous,

Demain, cela fera déjà une semaine que nous sommes arrivés à Moscou. J'en profite pour partager avec vous les dernières nouvelles sur notre installation ici et nos premières impressions.
Samedi midi, nous avons quitté Toronto, sa température d'été et nos chers amis Jeanne et Nicolas, chez qui nous avons été reçus au tajine d'agneau, au vin ontarien et à la pâte de noisettes turque, sous l'influence sans doute par le multiculturalisme canadien dans lequel ils baignent.

Dimanche matin, 10h: Le vol direct Toronto-Moscou de Transaero nous dépose à destination. Durant les neuf heures de vol, nous avons déjà eu l'occasion de pratiquer notre russe (j'ai l'impression que nous étions les seuls étrangers parmi tous les passagers), de boire du thé au citron et d'écouter les mêmes deux films soviétiques en noir et blanc qui ont joué en boucle durant tout le vol. J'ai aussi beaucoup avancé dans ma lecture de l'essai de Sylvain Tesson, "Dans les forêts de Sibérie", et tenté (sans succès) de dormir quelques heures, les pieds dans le couloir. Je me suis réveillée au son de la chanson thème de la compagnie "Transaero", à écouter absolument pour avoir une idée de l'ambiance...

http://www.youtube.com/watch?v=s-I5zHarPJc

Veronika (Nika, pour tout le monde qui la connaît un peu) nous attend à l'arrivée. Elle nous emmène, avec la conduite sportive qui lui est caractéristique, dans son quartier de Novokossino, au bout de la ligne jaune du métro, dans son charmant 1 et demi, où on dépose nos immenses bagages et on prend le temps de respirer l'air de la terre ferme quelques heures.


Le soir, elle nous amène à l'école de cuisine avec laquelle elle veut créer un partenariat pour son école de langues étrangères. Nous sommes accueillis (d'abord un peu froidement puis très très amicalement, à la russe) par un cuisinier de notre âge, aux moustaches dignes de Salvador Dali (sans les pouvoirs magiques), qui nous offre le café et nous parle de son entreprise (vraiment, vraiment sympathique). Il s'agit de cours de cuisine d'une durée de 4-5 heures, qui finissent par un grand repas commun. Café, thé, musique, vin rouge sont à la disposition des "invités", et ça crée une ambiance proche de celle d'un repas cuisiné entre amis à la maison, sauf que les recettes sont légèrement plus sophistiquées et que, bien sûr, il faut payer pour participer.



Le but de Nika est que certains ateliers puissent être, avec l'aide des cuisiniers sur place, organisés par les animateurs de son école comme activité spéciale faisant partie du cours de langue. Ex. Julien et moi dirigeons des ateliers de conversation française pour son école. Nous invitons nos étudiants à un atelier de cuisine française ou québécoise que nous menons en français, avec le support "culinaire" des membres de l'école de cuisine. Je trouve personnellement l'idée très bonne et, surtout, je suis impressionnée par l'esprit entrepreneurial des Moscovites qui m'entourent. J'ouvre d'ailleurs une parenthèse à ce sujet.
Nous connaissons très peu de Russes de notre génération, soit environ quatre: Nika, Sergueï, Igor et Katia.
Nika, a démarré sa propre entreprise il y a maintenant deux ans, le club de conversation en langue étrangère "Obchatsya Legko". Elle loue un local dans le centre-ville de Moscou, elle se crée un site internet, elle fait de la pub, elle organise des journées "portes ouvertes", etc. Ça marche, elle gagne sa vie. En plus, elle vient d'être acceptée à l'école des réalisateurs de films d'animation de Moscou, et donc travaille et étudie à temps plein.
Sergueï, avec son frère jumeau Andreï, anime des mariages traditionnels ou loufoques. Il est en ce moment en Croatie pour développer les possibilités de croissance de son entreprise là-bas. Parallèlement, il développe un réseau de contacts pour la vente d'art contemporain (ce qui nous laisse tous perplexes, puisqu'il n'y connait, a priori, rien).
Igor travaille dans le domaine de la publicité en tant que professionnel "free lance", et souhaite également développer sa propre "business" prochainement.
Katia, quant à elle, est traductrice, et travaille également à son compte. Elle a en ce moment un contrat d'interprète avec le Centre théâtral "Na stratnom", qui présentent "La dernière bande" de Samuel Beckett, jouée et mise en scène par un artiste américain, Robert Wilson (elle nous a d'ailleurs donné une paire de billets pour dimanche soir! Yé!). Elle sert d'interprète à M. Wilson pour la durée de sa production à Moscou.
Finalement, les propriétaires (Mourad, Anton et Anna) de l'école de cuisine où nous avons été invités à cuisiner (probablement de la poutine...) ont tous à peu près notre âge et ont démarré tous les trois (un couple et un ami) cette école l'an dernier.
Je vous laisse interpréter ces faits comme vous voulez, mais il me semble qu'il y a là comme un trait générationnel marquant. Ça reste à confirmer. Fin de la parenthèse.
En revenant chez Nika, Julien questionne les grands-mères qui vendent leurs produits maison près de l'entrée du metro (cornichons en pot comme ceux d'Eileen, confitures, bouquets de fleurs) pour savoir où il peut trouver des champignons à kéfir. Elles veulent toutes le conseiller, bien sûr, et donnent des renseignements contradictoires, aussi, alors, pour le moment, on n'a pas de champignon.
Fin de la première journée, on s'endort comme des pierres qui n'ont pas dormi depuis 40 heures...
Après, les jours se suivent et ne se ressemblent pas (hormis pour ce qui est de la température, vraiment morose et pareille tous les jours). On cherche des appartements sur des sites internet russes, on en visite quelques-uns (visites très étranges que je vous raconterai une autre fois), on retourne à notre "koulinaria lavka" préférée dans le quartier de la Taganka,



on prend encore et encore et encore le magnifique metro de Moscou (véritable défilé de haute couture quotidien, en plus d'être le moyen de transport le plus efficace et le moins cher que j'aie jamais utilisé),

on se promène dans Moscou, on retrouve la place Maïakovski complètement transformée sans ses clôtures et ses barrières,


 on envoie nos CVs dans des écoles de langues étrangères, on fait de l'insomnie la nuit et on s'endort l'après-midi, etc.

Quelques faits marquants:
Notre premier souper avec nos connaissances russes du dernier voyage (sauf Sergueï qui est en Croatie), tous réunis chez Nika. On chante des chansons et on a notre première discussion "de fond" en russe avec Igor, sur l'immigration et la mixité religieuse (ça nous suit jusqu'ici...!).
Notre première bouteille de vodka, accompagnée de "gretchnaia kacha" (semoule de sarrasin) et de côtelettes de mouton aux oignons, repas typiquement russe préparé par notre camarade... québécois, Martin, qui nous accueille dans sa cuisine des résidences au papier peint défraîchi, que nous retrouvons comme si c'était hier. Les "petites" bouteilles de vodka (500 ml), ici, ne se rebouchent pas. C'est ainsi.
La visite du Musée Pouchkine avec les camarades de classe de Nika, à l'école des réalisateurs de dessin animé. Deux expositions magnifiques : Titien et les Pré-raphaélites.
Première journée de cours de russe à l'Université. Après nous avoir fait passé un test, on nous a placé dans le groupe 4, ce qui veut dire: 16 heures de cours (gratuits!) par semaine, dont "Pratique de l'oral", "Langage des médias", "Textes littéraires" et "Grammaire". On est avec des Américains et des Japonais très doux et très gênés.
Côté travail, ça avance assez vite: Julien et moi avons déjà chacun un cours de français au Collège des langues de l'université, deux ateliers de français à l'école de Nika, mon cours de littérature québécoise au Centre Moscou-Québec (jeudi dernier: des Patriotes à la fin du XIXe siècle, Chevalier de Lorimier, Octave Crémazie, Philippe Aubert de Gaspé) et un contrat d'enregistrement de voix en français pour un examen oral. Ça roule ! En plus, nous avons eu la chance de recevoir finalement une chambre en résidence, ce qui est très agréable pour toutes les raisons que vous savez: pas besoin de continuer à chercher et à visiter, pas besoin de payer le double ou le triple pour une chambre plus petite et à l'autre bout de la ville et, surtout, l'emplacement parfait, sur le campus de l'université et tout près d'une station de métro centrale.


On a vraiment "le cul bordé de nouilles", comme dirait Alain Richard.

Ce soir, notre professeure de russe de l'an passé, Elena, nous invite souper chez elle, ce qui nous a surpris et nous fait surtout très plaisir.

Bref, voilà. Un début beaucoup plus simple et beaucoup moins stressant que la dernière fois, les amis, les contacts, le niveau de langue et la connaissance des lieux aidant énormément. En plus, le plaisir de retrouver des choses qu'on avait oubliées.

Voilà pour aujourd'hui! N'hésitez pas à nous écrire, via le blog ou par courriel, ça fait toujours vraiment plaisir.

Bisous,

Élise