lundi 6 février 2012

Peinture russe

Icône d'Andreï Roublev, peintre russe du XVe siècle
Je m'étonne encore devant l'immensité de la culture humaine, devant sa complexité et ses nuances infinies. J'ai toujours cette sensation de vertige devant ce monde-labyrinthe où nous habitons, cette sensation que Jorges Luis Borges a tellement bien exprimée par le "réalisme magique", l'impression que, peu importe l'énergie ou même la frénésie avec laquelle on parcourrait les innombrables étages de notre bibliothèque de Babel, nous en serions tous exactement au même point, c'est-à-dire au point zéro, au point d'émerveillement, d'ébahissement, au point du vertige.
Qu'on essaye, par exemple, de connaître notre propre culture... Que faudra-t-il y inclure? La connaissance de l'histoire politique, sociale, littéraire, musicale, l'histoire de la condition des femmes, l'histoire des mentalités, l'histoire du cinéma, la connaissance de la géographie, des structures économiques, de l'immigration, de l'import-export, de la flore et de la faune, l'histoire de la crise du verglas, l'histoire de Félix Leclerc, l'histoire de Pierre Laporte, l'histoire de mon arrière-grand-mère, l'histoire d'un gars qui voulait rentrer dans police... la police s'est tassée... et beaucoup beaucoup d'autres histoires. Il faudrait chaque jour lire tous les journaux, mais aussi aller aux rencontres de quartier à Brossard, et aussi se promener dans le port de Sept-Îles, et voir le rocher Percé, et parler innu, passer du temps sur une réserve, rencontrer Péladeau et aussi Nicole Brossard, écouter les 12 hommes rapaillés et faire quelques années de service dans l'armée canadienne, et faire le tour du Lac, et faire le tour de l'Île, passer l'hiver à Chibougameau et l'été à Gaspé, et pendant ce temps-là, sans arrêt, parler aux gens, manger avec eux, chercher une job, apprendre à taper du pied, argumenter, prendre des notes...

Alors, peut-être, au bout de quelques années, peut-être, peut-être que le vertige diminuerait, et on se dirait qu'il fait bon être chez soi. Mais moi je crois, au fond, que le vertige empirerait, oui, et qu'il nous sidèrerait tous continuellement sur place comme des milliers de petits Socrate, toujours sous l'effet paralysant de l'immensité inconnue et de notre incapacité à la connaître.

Et c'est ainsi que je me retrouve encore en train d'ouvrir pour la première fois une toute nouvelle encyclopédie, parmi toutes les encyclopédies décrivant les mondes connus et inconnus, réels et imaginaires. Et je découvre (disons, à la première page de la table des matières!) un monde avec des chansonniers, des acteurs, des danseurs, des clowns, des journaux politiques, des conflits territoriaux, une langue, des accents, des dialectes, de nouvelles orientations dans la lumière du soleil et une nouvelle manière de déneiger les rues. Et, ces dernières semaines, deux musées de peinture russe, avec des dizaines de peintres dont je n'ai jamais entendu parler et qui remplissent ici des musées. Rien de surprenant à cela, mais à la fois - quel vertige!
À tort et à travers, j'aimerais vous faire voir...
Le portrait romantique de l'écrivain russe le plus aimé, le légendaire, l'inégalé et encore absolument inconnu de moi, Alexandre Pouchkine, par Kiprenski, ce même Pouchkine qui à Moscou a plusieurs
Alexandre Pouchkine (1827)

Verechtchaguine
statues, deux musées consacrés à son oeuvre et un autre, immense musée des Beaux-Arts, qui porte son nom. J'aimerais aussi vous faire voir quelques-unes des oeuvres des "Ambulants", ce groupe de peintres de Saint-Pétersbourg qui ont abandonné l'école des Beaux-Arts, pour faire ensemble leur propre "école": par exemple, Verechtchaguine, qui a peint l'Orient et la guerre dans des tableaux où une barbarie d'abord cachée est révélée à l'observateur qui suit le regard des personnages sur la toile.
Verechtchaguine

Serov

La jeune fille aux pêches, Serov
 Ou encore Valentin Serov, chez qui les êtres représentés se dilatent pour colorer les objets qui les entourent (le pelage d'un cheval, la peau d'une pêche...). J'ai beaucoup aimé, dans ce même groupe, Ilya Repine, un autre portraitiste qui a aussi représenté des scènes de l'histoire russe, comme l'infanticide perpétré par Ivan le Terrible, le premier tsar de Russie, sur son propre fils, et aussi, entre autres, le retour d'exil d'un père de famille. Il y avait aussi une grande salle, magnifique, consacrée à Vroubel, peintre et artiste des mosaïques, qui
Ivan le Terrible et son fils, par Repine
Pan, par Vroubel
Le démon, par Vroubel

La princesse Cygne- Vroubel
 a peint le démon, Pan et sa femme sous les traits de la princesse des Cygnes (héroïne du Lac des Cygnes, ballet que les Russes se faisaient passer à la télévision lors du coup d'état de 1991...!), tout cela selon les canons de l'Art Nouveau, dans un esprit mystérieux et floral.
Cela, c'est ce qu'on a réussi tant bien que mal à retenir et à recoller dans notre mémoire, la technologie aidant. Il y en avait beaucoup, tellement d'autres.
Tellement qu'il y a en fait deux musées d'art russe à Moscou, dont le premier (dont vous pouvez voir quelques oeuvres ici) présente une collection allant des icônes à la peinture du 19e siècle, et le deuxième l'art du XXe siècle, présenté dans une chronologie émouvante, où l'on peut retraverser à travers la peinture  tous les bouleversements et les drames de la Russie du siècle dernier. Les grands tableaux colorés de Gontcharova, le Carré noir sur fond blanc du "suprême" Malevitch et, tout de suite après, le réalisme socialiste et ses grands portraits de Lénine, de Staline, de jeunes citoyens sportifs, optimistes et sains, des paysans souriants au soleil en maniant la faucille, et pas de mariés qui volent et de vaches bleues qui sourient, comme dans les tableaux de Marc Chagall.... Mais ça, pour l'heure, je vous laisse le délice (devrais-je dire le vertige...?) de l'imaginer!

3 commentaires:

  1. c'est très beau tout ça! «la jeune fille aux pêches» de serov illustre mon édition du théâtre I de tchekov, j'ai toujours pensé que c'était un portrait de la mouette...
    continuez de nous éblouir et racontez-nous aussi votre quotidien!
    je pense à vous xxxx
    julie

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  2. Devinez quoi les amis? J'ai hérité de votre ancien beurre d'arachides épicé! (Pascale de dire : « ça sent les peanuts au barbecue », et moi de répondre : « ça sent la térébenthine ». J'en aurai le cœur net demain matin...)

    Ne vous en faites pas, on garde un œil sur les LeBodo.

    P.-S. : Mon cerveau est mangé par la grammaire; j'ai trop apprivoisé le français ces derniers temps en vue du test des correcteurs.

    Ah j'oubliais, c'est génial de vous suivre à travers vos textes! On dirait que vous êtes toujours là, près de nous (un peu à la manière d'E.T. touchant Eliott de son long doigt).

    Prenez soin de vous,
    Vincent

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  3. Quel plaisir de vous lire ce matin, café à la main! xxx :)

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