lundi 20 février 2012

Petite leçon d'ethnocentrisme véniel ou Comment parler de Moscou sans parler de Québec ?


L’un des plaisirs les plus doux – et plus coupables – du voyageur est sans contredit la COMPARAISON.
Sans relâche et sans fatigue, tous les voyageurs, de l’adepte des tours guidés au vieil expat en passant par le backpacker lambda, tous, nous aimons à nous perdre en conversations infinies à propos des mille et une petites nuances qui séparent notre chez-nous du pays visité. « C’est drôle parce que, chez nous, blablabla, c’est fou parce qu’ici tu peux jamais blablabla tu tombes toujours sur blablabla et les gens sont comme ci, comme ça, la nourriture, le service, les édifices, la musique, l’air, le vent… » Asseyez-vous à n’importe quelle table de n’importe quel bar d’auberge jeunesse et cette rengaine vous inondera progressivement le cerveau jusqu’à la noyade totale dans l’océan des grandes et petites différences entre les endroits, les cultures et les gens qui forment notre grande et petite planète.
Bien que ce plaisir innocent puisse assez rapidement contribuer à la nausée du voyageur en raison de sa faculté particulière de glisser vers l’épandage des clichés et préjugés les plus assommants (dont on a pas fini, qui qu’on soit, de se rincer la bouche !), je sacrifierai une fois de plus au Dieu de l’Étonnement perpétuel en vous fourguant à mon tour ma petite litanie dans le crâne, si vous me le permettez.

On reconnaît donc le voyageur québécois parachuté en Moscou à :
-       Sa tendance à ne porter ni fourrure, ni talons aiguille ;
-    Son incompréhension profonde pour les systèmes qui fonctionnent sans pour autant être organisés : (« Comment on fait pour avoir des billets pour le ballet au Bolshoï ? » « T’écris ton nom le matin sur une liste. » « Pis après tu fais quoi de la liste ? » « Tu la donnes à la prochaine personne qui se présente. » « Mais… S’il ne vient personne ? » « Il vient toujours quelqu’un. » « Ah !...Ok. Mais mettons que tu es la dernière personne qui se retrouve avec la liste, qu’est-ce que tu fais ? » « Ben tu attends le spectacle. » « Ah !... Et après ? » « Après, faut aller faire la file à 17 h. » « Mais pourquoi, si nos noms sont déjà sur la liste ? » « C’est mieux d’être en file pareil. » « Et après ils vont venir chercher ceux qui sont dans la liste ? » « Ils vont crier vos noms. » « Et quand ils crient nos noms on peut dépasser les gens dans la file ? » « Oui et non… » « Mais… À quoi elle sert cette liste alors ? » « À s’assurer d’avoir des places. » « Alors c’est sûr qu’on a des places ? » « Non. »)
-       Son étonnement à voir se former, avant même l’heure d’ouverture, des files de centaines de personnes… devant l’entrée des musées d’art ;
-       Son étonnement à voir se former, avant même l’heure d’ouverture, des files de dizaines de personnes… devant les bureaux de poste ;
-       Sa surprise à visiter des églises encore utilisées par des gens assez croyants pour se prosterner et embrasser les icônes ;
-       Son incompréhension devant le fait qu’on puisse à la fois déposer des fleurs devant le buste de Staline et au pied de la statue de Vladimir Vissotski ;
-       Son indignation à se voir refuser certaines demandes par des vendeurs (je vous renvoie ici à l’entrée précédente, où la question de savoir si, en Russie, le client était, oui ou non, tsar, a été discutée pour aboutir à un résultat mitigé, mais penchant à mon humble avis vers la négative). Une petite série d’exemples ne fait pas de tort : « Est-ce que je pourrais avoir 15 billets de métro ? » « Non : 10 ou 20. » « Est-ce que je pourrais avoir du pain noir avec mon bœuf Strogonof ? » « Non, ça se mange avec des patates. » « Est-ce qu’on pourrait avoir des factures séparées ? » (Pour ça, il faut avouer qu’on n’a même pas osé poser la question...)
-       Sa méfiance par rapport à l’utilisation des vestiaires, qui en Russie sont gratuits et habituels non seulement dans les musées et les théâtres, mais également dans les cafés, restaurants, universités, etc.), et sa sempiternelle question : « C’tu payant ? »
-       Sa tendance à trouver amusants les Russes qui arborent fièrement la coupe Longueuil, plus courtement appelée « pad » ;
-       Sa tendance à trouver abusif le fait de manger un grand pot de crème sûre par jour ;
-       Sa profonde révolte par rapport au fait de se faire ouvertement dépasser dans les files… et sa plus complète passivité devant le fait accompli ;
-       Ses exclamations de surprise à chaque fois qu’il rencontre quelqu’un qui parle plus de deux langues : « Ah ouin ! Tu parles trois langues ? » (Hochements de tête impressionnés et mouvement caractéristique des lèvres vers le bas.) « Ah ouin ! Tu parles quatre langues ?? » (Élargissement des yeux et mouvement général de la tête, du cou et des épaules vers l’arrière.)
-       Sa tendance à croire son cours annulé lorsque l’enseignant arrive avec plus d’une demi-heure de retard, et surtout à son étonnement de se voir réprimandé… de ne pas avoir attendu plus longtemps ;
-       Son ébahissement devant la popularité chez les Russes des chansons de Joe Dassin : « Da ! Da ! Frantsouzkaya piécnia ! Znaïou ! "Auuuxxx Champs-Élysés, Pa pa ta la la !" »
-       Son incompréhension devant l’usage intensif de la zamboni dans tous les lieux publics ;
-       Ses fous rires convulsifs devant les affiches publicitaires annonçant les comédies musicales russes (allez faire un tour au www.lukomorie-musical.ru !) ;
-       Et, surtout, chapka pas chapka, on le reconnaît immanquablement à ses « r » mal roulés.

3 commentaires:

  1. Sans avoir lu ce dernier blog, on a parlé de tout ça sur facetime il y'a à peine quelques minutes. Pour continuer sur le thème de la comparaison entre les mots écrits et l'échange téléphonique visuel, je dirais que c'était beau et bon de vous voir et de vous entendre de vives voix !!
    N'oubliez-pas votre appareil photo lors de vos prochaines marches, j'aimerais bien voir davantage ces rues de Moscou et merci encore de ce généreux partage à travers ce blogue.
    Affectueusement,
    Claudia

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    1. Mes amis,
      Je vous lis le matin en déjeunant, non sans fierté d'être tsarine de personne avec ma toast au beurre d'amande. Ça me réjouit de voir que vous vivez bien, mangez à la Montignac (en n'alliant pas patates et pain) et que votre voyage vous permet de vivre une expérience quotidienne (ahhhhh les retards, Julien, ce sera un impitoyable retour du balancier) et un parcours de découvertes culturelles tout aussi stimulants l'un que l'autre. Je lis dans les nouvelles que ce sont les élections présidentielles à Moscou, est-ce que vous assistez (malgré vous ou volontairement) à certaines conférences, manifestations, etc.? Permettez-moi de croire que c'est un exercice démocratique plus intéressant à suivre que celui des manifestations contre la hausse des droits de scolarité.

      Gros becs, amusez-vous!
      PS: pour écrire ici, j'ai fait l'impossible: prouver que je ne suis PAS un robot. C'est dire combien je vous aime.

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