L’un des plaisirs les plus doux – et plus coupables – du voyageur est
sans contredit la COMPARAISON.
Sans relâche et sans fatigue, tous les voyageurs, de l’adepte des tours
guidés au vieil expat en passant par
le backpacker lambda, tous, nous
aimons à nous perdre en conversations infinies à propos des mille et une
petites nuances qui séparent notre chez-nous du pays visité. « C’est drôle
parce que, chez nous, blablabla, c’est fou parce qu’ici tu peux jamais
blablabla tu tombes toujours sur blablabla et les gens sont comme ci, comme ça,
la nourriture, le service, les édifices, la musique, l’air, le vent… »
Asseyez-vous à n’importe quelle table de n’importe quel bar d’auberge jeunesse
et cette rengaine vous inondera progressivement le cerveau jusqu’à la noyade
totale dans l’océan des grandes et petites différences entre les endroits, les
cultures et les gens qui forment notre grande et petite planète.
Bien que ce plaisir innocent puisse assez rapidement contribuer à la
nausée du voyageur en raison de sa faculté particulière de glisser vers
l’épandage des clichés et préjugés les plus assommants (dont on a pas fini, qui
qu’on soit, de se rincer la bouche !), je sacrifierai une fois de plus au
Dieu de l’Étonnement perpétuel en vous fourguant à mon tour ma petite litanie
dans le crâne, si vous me le permettez.
On reconnaît donc le voyageur québécois
parachuté en Moscou à :
-
Sa tendance à ne porter ni
fourrure, ni talons aiguille ;
- Son incompréhension profonde pour
les systèmes qui fonctionnent sans pour
autant être organisés : (« Comment
on fait pour avoir des billets pour le ballet au Bolshoï ? »
« T’écris ton nom le matin sur une liste. » « Pis après tu fais quoi
de la liste ? » « Tu la donnes à la prochaine personne qui se
présente. » « Mais… S’il ne vient personne ? » « Il
vient toujours quelqu’un. » « Ah !...Ok. Mais mettons que tu es
la dernière personne qui se retrouve avec la liste, qu’est-ce que tu
fais ? » « Ben tu attends le spectacle. » « Ah !...
Et après ? » « Après, faut aller faire la file à 17 h. »
« Mais pourquoi, si nos noms sont déjà sur la liste ? »
« C’est mieux d’être en file pareil. » « Et après ils vont venir
chercher ceux qui sont dans la liste ? » « Ils vont crier vos
noms. » « Et quand ils crient nos noms on peut dépasser les gens dans
la file ? » « Oui et non… » « Mais… À quoi elle sert
cette liste alors ? » « À s’assurer d’avoir des places. »
« Alors c’est sûr qu’on a des places ? » « Non. »)
-
Son étonnement à voir se former,
avant même l’heure d’ouverture, des files de centaines de personnes… devant
l’entrée des musées d’art ;
-
Son étonnement à voir se former,
avant même l’heure d’ouverture, des files de dizaines de personnes… devant les
bureaux de poste ;
-
Sa surprise à visiter des églises
encore utilisées par des gens assez croyants pour se prosterner et embrasser
les icônes ;
-
Son incompréhension devant le fait
qu’on puisse à la fois déposer des fleurs devant le buste de Staline et au pied
de la statue de Vladimir Vissotski ;
-
Son indignation à se voir refuser
certaines demandes par des vendeurs (je vous renvoie ici à l’entrée précédente,
où la question de savoir si, en Russie, le client était, oui ou non, tsar, a
été discutée pour aboutir à un résultat mitigé, mais penchant à mon humble avis
vers la négative). Une petite série d’exemples ne fait pas de tort : « Est-ce
que je pourrais avoir 15 billets de métro ? » « Non : 10 ou
20. » « Est-ce que je pourrais avoir du pain noir avec mon bœuf
Strogonof ? » « Non, ça se mange avec des patates. » « Est-ce
qu’on pourrait avoir des factures séparées ? » (Pour ça, il faut
avouer qu’on n’a même pas osé poser la question...)
-
Sa méfiance par rapport à
l’utilisation des vestiaires, qui en Russie sont gratuits et habituels non
seulement dans les musées et les théâtres, mais également dans les cafés,
restaurants, universités, etc.), et
sa sempiternelle question : « C’tu payant ? »
-
Sa tendance à trouver amusants les Russes qui arborent fièrement la coupe Longueuil, plus courtement appelée
« pad » ;
-
Sa tendance à trouver abusif le
fait de manger un grand pot de crème sûre par
jour ;
-
Sa profonde révolte par rapport au
fait de se faire ouvertement dépasser dans les files… et sa plus complète
passivité devant le fait accompli ;
-
Ses exclamations de surprise à
chaque fois qu’il rencontre quelqu’un qui parle plus de deux langues :
« Ah ouin ! Tu parles trois langues ? » (Hochements de tête impressionnés et
mouvement caractéristique des lèvres vers le bas.) « Ah
ouin ! Tu parles quatre langues ?? » (Élargissement des yeux et mouvement général de la tête, du cou et des
épaules vers l’arrière.)
-
Sa tendance à croire son cours
annulé lorsque l’enseignant arrive avec plus d’une demi-heure de retard, et
surtout à son étonnement de se voir réprimandé… de ne pas avoir attendu plus
longtemps ;
-
Son ébahissement devant la
popularité chez les Russes des chansons de Joe Dassin : « Da ! Da ! Frantsouzkaya piécnia !
Znaïou ! "Auuuxxx Champs-Élysés, Pa pa ta la la !" »
-
Son incompréhension devant l’usage
intensif de la zamboni dans tous les lieux publics ;
-
Ses fous rires convulsifs devant
les affiches publicitaires annonçant les comédies musicales russes (allez faire
un tour au www.lukomorie-musical.ru
!) ;
- Et, surtout, chapka pas chapka, on le reconnaît immanquablement à ses « r » mal roulés.
- Et, surtout, chapka pas chapka, on le reconnaît immanquablement à ses « r » mal roulés.