samedi 22 février 2014

Saqartvelo 2 - Tbilissi


La dernière fois, je pense que nous nous étions laissés à peu près ici,


dans les montagnes près de Mestia. Avant de nous rendre dans cette région reculée de la Géorgie, nous avions déjà passé cinq jours dans la capitale, la ville de Tbilissi. La capitale géorgienne est, selon ce que nous avons pu constater, la seule grande ville du pays. Elle compte 1,1 million d'habitants, sur 4,5 millions d'habitants au total en Géorgie. Malgré tout cela, il y a encore des poules qui se promènent librement dans des rues situées à peine à l'extérieur du centre-ville, et des feux de branches allumés un peu partout qui donnent une bonne odeur automno-champêtre à la ville.

Policiers se chauffant la couenne et voiture-café en fond
La "voiture-café" que je désigne dans la légende de la photo ci-dessus, c'est la camionnette aux portes arrières ouvertes qu'on aperçoit au fond. À Tbilissi, on en voit assez souvent. Quelqu'un s'achète une bonne machine à espresso, du lait, du sucre, installe le tout à l'arrière de sa voiture, va se stationner au centre-ville, ouvre sa valise de char et hop ! on fait concurrence à Starbucks sans payer de loyer !
C'est une ville qui évoque toutes sortes d'associations - Aix pour les platanes, le centre-ville piéton, l'hiver des pays du Sud ; Rome pour le voisinage des ruines avec des édifices à l'architecture ultramoderne ; Vientiane pour le calme, le charme désuet, l'esprit campagnard - mais en fait, Tbilissi me surprend énormément. Voilà un genre de ville que je n'avais jamais vu avant. Construite sur les deux côtés d'une vallée, autour de la rivière Mtkhvari, Tbilissi est mystérieuse, orientale, distinguée, luxuriante, à moitié en ruines, avec des relents d'époque soviétique qui lui donnent un je-ne-sais-quoi de théâtral et mélancolique. Sur un des flancs de la vallée, au sommet, se dresse dans la brume une forteresse d'allure orientale. Le quartier qui y mène, avec ses ruelles pavées, ses escaliers, ses recoins, ses points de vue, ses jardins, ses balcons ouvragés suspendus au-dessus du vide, fait beaucoup penser à Grenade aussi, tout aussi abrupt et magnifique. De l'autre côté, lui faisant face, s'élève une toute nouvelle cathédrale, monumentale et amoureusement illuminée. Les Géorgiens, orthodoxes eux aussi, semblent encore plus pieux que les Russes. Visitant une église le soir de notre arrivée, nous avons dû nous frayer un chemin parmi la foule qui se massait autour des icônes, et nous nous sommes involontairement fait arroser d'eau bénite par un prêtre à longue toge et barbe noire. Le centre-ville, assez petit, se visite facilement en trois jours, en prenant son temps.
Alors, pourquoi sommes-nous restés 6 jours à Tbilissi ? (D'abord 4 et demi, puis un et demi à la fin...)
La beauté de la ville, certainement. Mais surtout, l'ouverture, la gentillesse de nos hôtes, Maïa et Aleko.



Se faire accueillir avec un sourire, d'abord. Un SOURIRE. Avant même qu'on montre nos papiers, qu'on s'explique, qu'on démontre nos droits et qu'on invoque la clémence pour l'étranger loin de son foyer. Juste normal, juste de même, un sourire. Ah ! Ça vaut de l'or.
"Come in ! Come in ! So, where are you from ?" nous demande Maïa dans son anglais parfait (seul exemple recensé dans toute la Géorgie). Nous, on se dit: se trouvant dans un pays dont on imaginait à peine l'existence il y a deux ans, on va rester dans les généralités de notre bord aussi. On répond: "Canada". Aleko, qui était resté assis sur le bord du foyer pour fumer, se retourne alors et nous regarde au-dessus des verres de ses lunettes, avec suspicion : "From Canada, or from Québec ?" Il n'en fallait pas plus pour gagner notre coeur.
C'est ainsi qu'on a passé notre temps assis dans la cuisine, assis sur le bord du foyer (délicieusement réconfortant vu l'inefficacité générale du chauffage dans le pays), assis dans le salon, entre nos nombreuses et longues marches dans la ville et dans les environs. Aleko, avec qui il a fallu rapidement "switcher" au russe pour pouvoir discuter, nous décrit avec enthousiasme, avec amour, avec rêverie les différentes régions de la Géorgie qu'on peut visiter, nous raconte leur beauté, leurs caractéristiques (à les entendre, les Géorgiens, ils habitent dans un pays où on change de culture à chaque 30 km), nous conseille, nous étonne par les récits de son passé de géologue-alpiniste. Il prend aussi plaisir à nous faire boire son vin, produit sur sa terre dans la région de Khakheti, la plus renommée en Géorgie pour la production de vin.
Maïa, elle, me fait beaucoup penser à ma tante Suzy. Son caractère ouvert, relax, rêveur, un peu hippie, son goût pour la discussion, pour la peinture, sa manière de bouger les mains, presque tout ! Ça fait drôle de trouver des ressemblances si frappantes entre deux femmes provenant de cultures aussi éloignées. Ça rassure. On se dit (parce qu'on a des doutes, des fois, quand même): oui oui, au fond, oui, c'est possible de se rejoindre, c'est possible de s'entendre, de se comprendre, même d'aussi loin. Grande vérité maintes fois répétée et re-confirmée par votre correspondante: il y a toutes sortes de monde dans toutes sortes de pays qui sont bien différents les uns des autres. Voilà. Vous savez tout.
Étant de grands gourmands et passionnés de cuisine géorgienne depuis notre premier voyage en Russie, Julien et moi voulions trouver une école de cuisine à Tbilissi, pour prendre un cours d'une journée. On demande conseille à Maïa qui, accotée sur le bord du comptoir avec sa tasse de café fumante (l'air est froid, ne l'oublions pas), nous répond: "Why ? I can show you. Just buy the ingredients !" On a donc le lendemain une liste d'épicerie écrite en géorgien dans les mains, et on part avec Aleko vers le "bazar" (parce que c'est encore au marché que les Géorgiens achètent leurs aliments, pratiquement tous issus du pays). Il pleut, il neige, on patauge entre les étals de nourriture, les flaques, les piles de détritus. Pour chaque aliment, Aleko nous amène à un stand différent. "Ici, ils ont de belles fines herbes. Mais pour les légumes, on va aller là-bas." Pour les noix, ici, pour les épices, ailleurs. Se sont les Azeris qui vendent apparemment les meilleures herbes. Et Aleko argumente, et goûte, et se fait sortir les bottes d'épinards les plus fraîches. C'est merveilleux.
Sacs de noix et "barres tendres" faites de noix de Grenobles enrobées dans un genre de caramel de pectine de raisin (si ça existe). 



Collier de fleurs de safran

Après 4 heures de cuisine et de prise de notes intensive, on s'assoit avec Maïa et Aleko devant ce festin géorgien:

À gauche, le pain "lavash", la pâte d'épinard à l'ail, aux oignons et aux noix de Grenoble. Au centre, le "baje", poulet grillé en crapaudine avec sauce froide aux noix (l'huile visible sur le dessus est l'huile extraite des noix de Grenoble, pressées à la main par Maïa...). À droite, des aubergines grillées avec pâte d'ail, coriandre et noix. Hors de la photo: le "romi", un genre de pain de maïs élastique fourré au fromage fumé. Et bien sûr, le vin rouge d'Aleko!
Mais on n'a pas seulement jasé, bu et mangé à Tbilissi, non non non. On est allés au théâtre de pantomime, dans un édifice glauque de la très haussmanienne avenue Rustaveli, au centre-ville. La salle, mal éclairée et embaumant la pisse, est toute petite et remplie à moitié par des étudiants au look branché et vaguement hipster. Deux fois par semaine, la troupe présente un spectacle de pantomime. Celui que nous avons vu était constitué de courts tableaux à 1, 2, ou 5 personnages, tantôt comiques, tantôt lyriques, mythologiques ou vaudevillesques. C'est cool.
On est aussi allés voir le théâtre de marionnettes en dessous de la charmante "tour de l'horloge".

Billetterie du théâtre de marionnettes
On est allés au musée ethnographique, visiter dans la brume la reconstitution de vieilles habitations traditionnelles géorgiennes des différentes régions du pays.


À l'avant-plan, les "quevris", grands vases en terre cuite enfouis dans le sol et utilisés pour faire le vin selon la méthode géorgienne

Intérieur de l'habitation traditionnelle
On a marché, on a écouté du jazz, on a bu au soleil,









on est allés au musée, on est allés aux bains, on a viraillé, et... on est partis voir le reste de la Géorgie. Notre premier arrêt, vous le connaissez déjà : c'était Mestia. En redescendant des montagnes, on s'est rendus à Kutaïsi, dans la région qui anciennement était la Colchide, et on a même été hébergés par une certaine Médée...

Mais ça, ce sera dans le prochain épisode !

Paka paka!

1 commentaire:

  1. Merci pour ce tour guidé. J'aimerais bien que vous nous transmettiez vos recettes au retour. On ira faire l'épicerie au marché du Vieux-port,… Ça sera moins poétique mais les odeurs vous feront voyager sûrement.
    Clo

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